Le lion et le rat Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde : On a souvent besoin d’un plus petit que soi. De cette vérité deux fables feront foi ; Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d’un lion Un rat sortit de terre assez à l’étourdie. Le roi des animaux, en cette occasion, Montra ce qu’il était, et lui donna la vie. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu’un aurait-il jamais cru Qu’un lion d’un rat eût affaire ? Cependant il advint qu’au sortir des forêts Ce lion fut pris dans des rets, Dont ses rugissements ne le purent défaire. Sire rat accourut, et fit tant par ses dents Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage. Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage. Tristan et Iseult Le regard perdu sur l’océan, Tristan repense aux combats qu’il a menés en Irlande pour ramener Iseult la blonde à son oncle, le roi Marc de Cornouailles. Le claquement des vagues contre la coque du bateau masque le bruit des pas de la jeune fille, derrière lui : - Sire, je ne vous ai pas encore remercié d’avoir délivré l’Irlande du terrible dragon qui terrorisait ses habitants. - Damoiselle, c’était un honneur de le faire. Si j’avais échoué, votre père le roi d’Irlande n’aurait pas accepté de donner votre main à mon oncle, le roi Marc… Mais vous êtes bien pâle… Tristan remarque alors une carafe contenant un breuvage. Il en verse dans une coupe pour Iseult. Elle en boit quelques gorgées avant de la tendre à Tristan, qui la vide d’un trait. Leurs regards se croisent et leurs cœurs battent soudain à l’unisson. Brangien, la servante d’Iseult, observe la scène et murmure, catastrophée : - Malheur, ils ont bu le filtre d’amour que la mère d’Iseult m’a confié pour sa fille et le roi Marc. Il est trop tard, pendant trois ans, rien ne pourra les séparer ! Le bateau accoste en Cornouailles. Tristan et Iseult ont le cœur déchiré à l’idée de se quitter, mais le jeune chevalier refuse de trahir son oncle et la princesse doit respecter ses obligations. Le mariage royal est donc célébré dans le faste. Pourtant, aucune volonté ne peut affaiblir l’amour qui unit Tristan et Iseult. Ils se voient en cachette, jusqu’au jour où l’un des barons du roi, le nain Frocin, réussit à les piéger. Le roi est furieux : « Vous avez commis la pire des trahisons ! Vous brûlerez sur le bûcher ! » Tristan refuse de laisser mourir la belle Iseult. Il parvient à s’enfuir avec elle dans la forêt. - Iseult, nous n’avons nul endroit où vivre. Nous nous cacherons ici. - Si je suis près de vous, sire, le reste m’importe peu. Cette vie dans la forêt dure deux ans. Jusqu’au jour où le roi retrouve leurs traces et les surprend dans leur sommeil, séparés l’un de l’autre par l’épée de Tristan. - Aurais-je été manipulé par Frocin ? se questionne En proie au doute, le roi renonce à sa vengeance. Il remplace l’épée de Tristan par la sienne et glisse son anneau au doigt d’Iseult avant de quitter silencieusement les lieux. Au réveil, le couple comprend que le roi leur a pardonné. - Douce Iseult, voilà trop longtemps que je vous fais vivre dans des conditions indignes de vous, murmure Tristan. Retrouvez le roi et vivez heureuse. La magie du filtre s’est estompée. Tristan et Iseult s’aiment sincèrement, mais la raison l’emporte maintenant sur la passion. Non sans douleur, Iseult rejoint le roi et Tristan s’exile en Bretagne. Pour oublier sa peine, il livre plusieurs batailles pour le Duc Hoël. Il épouse même sa fille, Iseult aux mains blanches, qu’il ne peut aimer. Par malheur, il revient un jour blessé par un pieu empoisonné. Dans un souffle, il s’adresse à l’un de ses plus fidèles amis, devant sa femme : - Seule Iseult la blonde possède les connaissances pour me guérir. Va la chercher. Si elle accepte de venir, tu hisseras une voile blanche au navire. Si elle refuse, hisse une voile noire. Au chevet de son époux, Iseult aux mains blanches aperçoit finalement le navire au loin, une voile blanche hissée sur le mât. - Le navire arrive enfin ? demande Tristan. - Oui, sire. - Quelle est la couleur de sa voile ? - … Noire, répond-elle avec amertume. Se croyant abandonné, Tristan se laisse mourir. Lorsqu’Iseult la blonde franchit la porte, il est trop tard. Elle meurt de chagrin sur le corps de son amant. Le roi Marc, dans un acte de bonté, fait enterrer le couple l’un près de l’autre. Une ronce relie à tout jamais leurs tombeaux. LA LÉGENDE DE LA PRINCESSE ÉNIMIE Dans le royaume de Clotaire II, roi des Francs, tous les jeunes barons en âge de se marier parlent de la princesse Énimie et de son incroyable beauté. Chaque jour, le roi reçoit une demande pour la main de sa fille. Mais la princesse n’est pas seulement resplendissante, elle est aussi d’une grande vertu et ne cesse de repousser ses prétendants. – Ma fille, tu as l’âge de prendre époux. Cesse de te comporter comme une enfant, lui dit un jour le roi avec lassitude. – Père, je ne veux consacrer ma vie qu’à Dieu, et me dévouer aux plus démunis. Telle est Sa volonté, vous ne pouvez rien y faire. – Puisque tu t’entêtes ainsi, je choisirai moi-même ton époux ! s’emporte le roi avant de quitter la pièce. Énimie fond en larmes. Désespérée, elle invoque le seul qui puisse lui venir en aide. – Seigneur, aie pitié de moi ! Prends ma beauté, que plus un homme ne s’intéresse à moi. Épuisée par les sanglots, elle finit par s’endormir. Le lendemain, elle réalise avec stupeur que Dieu l’a exaucée. Son visage est recouvert de plaies immondes et douloureuses. Elle est complètement défigurée par la lèpre. Les premiers temps, Énimie se réjouit de son sort. Plus personne ne veut l’épouser, elle peut maintenant consacrer sa vie aux pauvres et aux malades. Mais au bout de plusieurs années, devant l’impuissance des meilleurs médecins et le désespoir de ses parents et de son frère, le futur roi Dagobert, elle commence à regretter sa prière. La douleur est de plus en plus vive, et le chagrin de son entourage ne fait que l’accentuer. Un soir, elle s’agenouille et prie : – Seigneur, tu as exaucé ma prière la première fois, peut-être m’entendras-tu à nouveau. Je suis rongée par la douleur et le regret. Par pitié, fais disparaître ce mal. À ces mots, un ange apparaît. – Mon enfant, trouve la source de Burle dans la province du Gévaudan. Baigne-toi et ta prière sera exaucée. Le lendemain, son père la fait aussitôt escorter jusqu’au Gévaudan. Après un long voyage, ils trouvent enfin la source. Énimie s’y plonge et, par miracle, toutes ses plaies disparaissent. – Merci Seigneur ! s’exclame-t-elle avec joie. Tout le cortège est en liesse. Dès le lendemain, ils reprennent la route pour regagner le château. Mais à peine se sont-ils éloignés qu’Énimie sent le mal la ronger de nouveau. Le cortège rebrousse chemin. Énimie se baigne dans la source et le miracle se reproduit. Ils repartent, mais plus ils s’éloignent, plus la maladie est virulente. – Ainsi, la volonté de Dieu est que je reste en ces lieux païens pour Le servir, murmure-t-elle, pensive. La princesse s’installe dans une grotte au creux de la montagne, laissant une grande partie de son escorte regagner le château. Pendant plusieurs années, elle accueille les pèlerins et accomplit des miracles en guérissant les malades au bord de la source. Elle fonde un monastère dont elle est nommée abbesse par l’évêque Ilère de Mende. Mais le Drac, l’une des incarnations du Diable, voit d’un bien mauvais œil la présence de la sainte. Aussi sort-il régulièrement des gouffres de la montagne pour détruire le bâtiment. Épuisée par ces persécutions et déterminée à chasser le démon définitivement, Énimie demande l’aide de l’évêque Ilère. Ensemble, ils le combattent et le poursuivent à travers la montagne. La course est effrénée jusqu’à une falaise surplombant le Tarn. Là, à bout de force, Ilère invoque la montagne. C’est alors que d’énormes rochers s’écrasent sur le Drac, l’obligeant à regagner les Enfers, fou de rage. Aujourd’hui encore, on peut apercevoir le chaos des roches au Pas de Soucy. Un peu plus loin, on peut aussi s’émerveiller devant l’Ermitage, la grotte où, après le combat, sainte Énimie s’est retirée pour finir ses jours.